Vivre ensemble dans la cité

Le centre socio-culturel des Trois Cités à Poitiers est un foyer d’initiatives d’habitants du quartier, appuyés par des professionnels. Ensemble, ils  définissent et mettent en œuvre des projet de développement social pour l’ensemble de la population du territoire.

A la fin du XIXe siècle en France, suivant en cela un mouvement initié en Angleterre, quelques jeunes gens, enfants des industriels de l’époque, se révoltent contre la façon dont leurs parents font la charité. Certains d’entre eux déménagent pour s’installer dans ce qui n’est pas encore la banlieue rouge, posant les bases d’un projet qu’ils veulent dénué d’esprit caritatif : il s’agit de « faire avec » les habitants de ces quartiers, le plus souvent des ouvriers, et non de « faire pour eux ». Les problèmes traités concernent la vie quotidienne : l’hygiène, les bibliothèques, la condition physique, les modes de garde des enfants, etc.

C’est l’époque des belles heures du catholicisme social qui voient la création de centres sociaux, un mouvement qui s’amplifiera après 1945.

A Poitiers, dans les années 1975, les habitants du quartier des Trois Cités sont issus des classes moyennes. A cette époque, les cités proposent un habitat agréable, moderne et à la portée des bourses des jeunes cadres ou des enseignants. Ils conçoivent à leur propre usage et pour tous les résidents un lieu dynamique où naissent des projets culturels innovants, qui évoluera pour devenir le centre socio-culturel.

Avec le temps, la population change, le quartier devient « sensible » et traîne sa mauvaise réputation comme un fil à la patte.

Aujourd’hui, le quartier n’est pas homogène avec, à côté de la cité, une zone pavillonnaire dont les habitants sont plus aisés.

Le centre socio-culturel a édité un portrait de territoire qui pointe les difficultés de communication entre les deux zones et c’est ce malaise que ses animateurs s’emploient à réduire, entre autres activités.

Un militant

Vincent Divoux, qui dirige le centre socio-culturel, est un militant. Avant d’arriver à Poitiers, il dirigeait un centre à Strasbourg. Mais il ne parvenait pas à concilier son activité professionnelle et son militantisme dans une ville trop « gauche caviar ». Il veut travailler dans une cité.

Il arrive au Trois Cités dans un contexte difficile : « L’équipe salariée a été mise en cause par le conseil d’administration qui voulait reconstruire le projet du centre. Je suis arrivé pour réaliser cette mission et ouvrir une nouvelle page de l’histoire du lieu. Pour moi, c’était une opportunité. »

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Aujourd’hui le centre compte cinquante salariés avec une grosse équipe de trente-cinq animateurs, les administratifs qui assurent le fonctionnement et le personnel d’accueil. 

Le centre adapte en permanence ses activités et son organisation à un territoire en constante évolution.

Les principes et les valeurs du centre

La population du quartier est atypique : elle est plus âgée que la moyenne des zones de ce type. On y compte beaucoup de familles monoparentales, majoritairement des femmes d’origine étrangère, des zones rurales de Guinée ou des Pays de l’Est. Il s’agit d’une population peu formée et peu scolarisée, avec de jeunes enfants dont l’arrivée a créé un bouleversement démographique dans les écoles. Mais le quartier est calme, sa vie collective est dynamique avec de nombreuses associations qui facilitent la résolution des problèmes.

Vincent et ses équipes ont un principe qui guide leurs actions :

 ils veulent contribuer à élaborer un nouveau projet de société et utiliser le centre comme un laboratoire d’expérimentations de leurs principes. Ils refusent l’idée d’assistance.

Ils ont mis en place les moyens de travailler avec les habitants et de produire du lien entre des communautés hétérogènes qui, au mieux, ne se parlent pas, en leur proposant des activités communes. Ces activités leur permettent de se rencontrer et de se connaître pour mieux vivre ensemble.

Les habitants de la cité s’approprient les projets, ce qui leur permet d’émettre un grand nombre de propositions et de réflexions. « Ils ne sont pas allés loin à l’école, admire Vincent, mais ils défendent l’idée que la culture dépasse l’instruction, ils revendiquent leur place et refusent ce qu’on leur impose, avec un regard critique sur une société d’assistance. Ça génère des dynamiques formidables.»

Les activités du centre

Les activités engagées par le centre tiennent compte des caractéristiques de la population du quartier.

Pour orienter leurs propositions, pour trouver des solutions concrètes et applicables aux problèmes qui se posent dans le quartier, les animateurs du centre consultent les habitants à l’aide de questionnaires (élaborés avec des professionnels bénévoles), auxquels tous les intéressés sont invités à répondre. Pour consulter la population, les animateurs font du porte-à-porte dans les tours où ils sont très bien reçus. Un centre de santé conçu à partir de ces besoins a vu le jour.

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La résidence inter-générationnelle

Ce projet part du constat que les populations vieillissantes sont souvent isolées et que par ailleurs les personnes d’origines sociale, ethnique ou religieuse différentes se mélangent peu.

Les différences sont souvent sources de conflits tant il est vrai que l’acceptation de l’autre, de sa culture et de sa manière de vivre demande des efforts.

Pour prendre le problème en charge, le bailleur social a réhabilité un immeuble ancien du quartier pour en faire une résidence inter-générationnelle dont le but est de maintenir les personnes âgées le plus longtemps possible chez elles. Mais le projet ayant été imposé aux habitants – ils en ont appris l’existence par voie de presse –, a été rejeté en bloc, en grande partie parce qu’ils n’avaient pas été consultés. Aidés par les animateurs du centre et la CLCV, ils réfléchissent à la manière de connaître les besoins des gens afin de toucher l’ensemble de la population et finissent par adopter le projet en l’améliorant avec un projet de centre de santé. Les habitants ont créé une association, « L’espoir », pour mettre en place ce projet et les animateurs du Centre les accompagnent un jour par semaine pour les informer et répondre à leurs questions. Pour Vincent, c’est un projet exemplaire qu’il a plaisir à présenter lorsqu’il en a l’occasion.

Les projets collaboratifs

Les projets de collaboration entre communautés constituent le travail quotidien des animateurs du centre et contribuent à créer du lien et à aplanir les difficultés.

Contrairement à nombre de quartiers en périphérie des villes, les Trois Cités sont relativement calmes, parce que les communautés se parlent et échangent des services. Vincent nous rapporte à ce sujet une anecdote significative : « Le président de l’association guinéenne de la cité a été le premier Noir qu’une jeune femme arménienne a rencontré. Cette main noire, la première qu’elle serrait, l’a aidée à monter son association de défense d’Arméniens sans papiers. Elle a dix-huit ans, elle prend des cours de français parce qu’elle veut s’intégrer et elle souhaite entraîner ses compatriotes. Des liens se sont créés entre les deux communautés, et désormais ils s’entraident volontiers. »

Les événements qui rythment la vie de la cité et créent des occasions festives et des rites s’inscrivent pleinement dans ce projet collaboratif.

 

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Vincent détaille ces nombreux événements : « Il y a une fête de quartier avec toutes les associations; un carnaval qui est un grand moment avec des défilés, quelques petits chars, des centaines de personnes très différentes qui dansent, et on finit toujours avec un feu dans lequel on fait brûler le bonhomme carnaval; un festival qui s’appelle « Ecouter voir », où les élèves du conservatoire donnent 80 spectacles un peu partout; beaucoup de musique, de la danse, du théâtre, des contes. Et ces fêtes se passent dans plusieurs lieux, à la crèche, au café, dans les appartements, les pavillons. Les habitants reçoivent chez eux comme ils peuvent pour des représentations théâtrales en appartement. Ce sont des moments très émouvants pour des gens qui ne sont jamais allés au théâtre. »

Un projet éducatif

Le centre socio-culturel s’est associé à un projet national, qui s’appelle : En associant leurs parents, tous les enfants peuvent réussir. Le projet part du postulat que, dans les quartiers populaires, les parents ne sont pas plus démissionnaires qu’ailleurs, mais que nos pratiques et nos structures ne sont pas adaptées pour leur laisser une place. « Cela fait six ans, explique Vincent, qu’on travaille à changer nos postures et nos pratiques, à recevoir systématiquement tous les parents des enfants qu’on accueille, à leur faire la place qu’ils souhaitent dans nos activités, de la simple présence à la proposition d’une initiative. Nous avons découvert, à propos de ce chantier, les méthodes d’ATD-Quart monde sur le croisement des savoirs. Nous nous formons à tour de rôle à ces méthodes, dont nous nous inspirons pour travailler et élaborer nos orientations. »

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Avec Passerelles & Compétences

Vincent Divoux  constate après son arrivée  que le système d’information doit évoluer. Mathias C., le technicien informatique mis en relation avec l’association par Passerelles & Compétences réalise un audit complet et recommande d’organiser le service informatique : matériel (serveur en bout de course), délégation (prévoir une autre personne), sécurité-sauvegardes, procédures, gestion-circulation des informations.
Par ailleurs, les salariés embauchés par l’association ne maîtrisaient pas toujours très bien les outils bureautiques, notamment Word et Excel, qu’ils n’avaient pas utilisés lors de leur parcours professionnel antérieur.
Quant aux administrateurs, nombre d’entre eux ne sont pas à l’aise dans l’univers du numérique; certains n’ont jamais travaillé avec cet outil et nombreux à l’époque sont encore ceux qui ne disposent pas d’un ordinateur chez eux.
James.R, le  technicien informatique qui intervient sur place pour assurer ces  formations  est un professionnel de très bon niveau. Il démontre la patience nécessaire. A l’issue de ces journées, les salariés sont à même d’utiliser les outils et les administrateurs sont quant à eux plus à l’aise.

L’année d’après, le Centre socio-culturel a de nouveau fait appel à Passerelles & Compétences pour une nouvelle session de formation à l’utilisation des boites mails.
Les relations entre les bénévoles et les salariés ont été si positives que l’un des bénévoles a postulé pour intégrer le centre.

Changer la société

Vincent Divoux déploie une grande énergie au service de son projet de co-construction d’une politique territoriale. Le temps n’émousse pas son admiration devant ce que sont capables de réaliser des gens qui prennent des responsabilités dans un projet qui les concerne.

 S’impliquer où l’on vit, c’est déjà faire changer la société.

Vincent Divoux

Vincent Divoux

Directeur du

Centre socio-culturel des Trois Cités