La péniche le Balajo est amarrée au bord d’un quai du Rhône, en plein centre de Lyon. C’est un lieu d’accueil pour les personnes sans domicile ou en grande précarité, où elles peuvent être écoutées et orientées dans leurs démarches.
Il fait un temps radieux en ce jour d’octobre, où je suis invitée à la visiter la péniche et les reflets de l’eau à l’intérieur nous accompagnent toute la matinée. C’est une ancienne péniche utilitaire - un vraquier, pour les connaisseurs - avec un premier niveau juste au-dessus de l’eau. Le pont arrière est aménagé comme une terrasse, couverte par une voile; à côté se trouve la cabine de pilotage et la timonerie, qui n’est plus utilisée pour guider le bateau mais comme lieu de stockage des vivres. Au niveau inférieur, on descend vers l’ancien appartement des mariniers : des locaux lambrissés qui ont beaucoup de charme.

Pour l’instant la péniche est vide, mais, dès le début de l’après midi, elle accueillera ses hôtes que la vie dans la rue a coupé des autres. Ils viennent y chercher le calme, le repos et les relations sociales qui leur manquent tant. Ils y trouveront un bar, une salle informatique où ils pourront consulter des sites ou leurs messages et un salon de coiffure ouvert une fois par semaine où l’on prend soin d’eux tout en bavardant. Ils pourront jouer aux cartes ou à des jeux de société. « Péniche accueil , insiste Michaël Agopian, l’ancien président redevenu simple bénévole, n’est pas une association humanitaire. Par exemple, la question s’est posée à un moment ou nous avons eu des dizaines et des dizaines de Roms qui venaient ici juste pour prendre une douche et repartaient sur le champ, mais nous n’avons pas donné suite car ce n’est pas notre mode de fonctionnement. La ville de Lyon a des équipements, il y a d’autres moyens.
Nous, nous sommes là pour le lien. »

Michaël : un engagement
Fils d’une famille d’Arméniens, Michaël est imprégné d’une culture d’ouverture. Il a toujours été intéressé par l’action sociale et s’est investi très tôt dans des projets associatifs. En abordant l’âge de la retraite, Michaël cherche une cause pour laquelle il pourra s’engager en y consacrant le temps dont il dispose désormais : un ami lui parle de ce lieu d’accueil pour les SDF qu’est la péniche.
Ce milieu d’exclus intéresse Michaël, qui accepte de prendre la succession de la présidente, car il est rassuré par la présence d’une équipe performante dans l’association. Il s’engage pour une année, il y restera six ans… Durant son mandat, le directeur, un pilier qui prenait en charge le quotidien, est tombé malade. Michaël a dû faire fonctionner l’association, mener un travail opérationnel au quotidien, obtenir des financements pour réaliser des travaux, garder la confiance des financeurs.
Michaël y passe les trois-quarts de son de temps jusqu’au jour où arrive un nouveau responsable qui connait parfaitement le milieu. Au bout de ces années, la situation a évolué, les responsables ont changé mais l’esprit de la Péniche est resté le même, son identité et ses valeurs solidement ancrées.
L’histoire de l’association
Lorsque Michaël Agopian prend ses responsabilités, Péniche Accueil a déjà une longue histoire.
Les deux créateurs de l’association, une ancienne assistante sociale, extrêmement dynamique et le curé de la paroisse des Charpennes, au charisme exceptionnel - qui a tout de même 83 ans à l’époque- créent à Villeurbanne un lieu d’accueil pour les sans-abris, qu’ils nomment Les amis de la rue. Au début des années 90, l’association souhaite créer un autre lieu d’accueil. Elle fédère deux autres associations lyonnaises, Habitat et humanisme et Les petits frères des pauvres autour d’un projet qui vise à fournir aux SDF un lieu d’accueil de jour un peu plus convivial que le hall de la gare ou les pelouses de la place…
Elles proposent donc aux pouvoirs publics et aux collectivités locales d’acquérir une péniche pour la transformer en accueil de jour. A l’époque, dans le milieu du transport fluvial, les impératifs économiques évoluent et nombre de bateaux ne répondent plus aux besoins : le “plan de déchirement des bateaux” permet donc d’acquérir la péniche à moindre coût.
Reste ensuite à l’aménager : nous sommes en avril 1993. Construite dans les années 50, la péniche s’appelait à l’origine le Dany. La légende veut qu’elle ait été rebaptisée car l’un de ses capitaines était un fervent du Balajo, célèbre café dansant parisien. Aux trois associations d’origine, se joint Médecins du Monde pour les questions de santé.
Si, au début, Péniche Accueil est essentiellement gérée par des bénévoles, peu à peu les besoins se précisent : à l’accueil en journée s’ajoute le suivi social ; la charge de travail et la nécessité d’assurer la continuité des services supposent alors l’embauche de salariés, au nombre de quatre aujourd’hui. L’association vit pour 85% de son budget de subventions publiques parce qu’elle a une mission de service public. Comme aime à le souligner le premier salarié :
Même si ce n’est pas la seule raison du soutien de la Mairie depuis que l’association existe, le fait qu’il y ait la péniche évite qu’il y ait des dizaines et des dizaines de SDF place Carnot qui gênent le voisinage et les élus.
La Péniche au quotidien
Amarrée sur le Rhône, elle s’intègre au quartier sans le dénaturer, ce qui facilite les relations avec le voisinage. L’association est ouverte à une population que l’on nomme « les passagers » (comme c’est la coutume dans tous les lieux d’accueil de jour mais qui trouve ici tout son sens) avec laquelle il n’est pas facile de communiquer tant elle est diverse au niveau de l’âge et de la nationalité. Qui plus est, cette population évolue au gré des événements et des catastrophes.
A une époque les passagers venaient de la Corne de l’Afrique, puis des pays de l’Est. Quoiqu’il en soit pour ceux qui viennent s’y reposer, le bateau est un lieu mythique : c’est l’endroit de bien des rêves, même s’ils ne se réalisent pas, c’est l’idée du départ, même s’il est toujours reporté… Les personnes accueillies parlent souvent en termes de marine, de ce qu’elles viennent chercher ici : une « bouée de sauvetage », un moyen de rester « amarrées » à la vie sociale, d’en finir avec la « galère »…D’autres, évoquent le Titanic, avec un pessimisme non dénué d’humour.
Pour communiquer avec les passagers , le jeu est une manière privilégiée : cartes, dominos ou échecs, selon la culture de leur pays d’origine et leur propre histoire, effaçant parfois d’un coup des préjugés, comme en témoigne Michaël : « Un bénévole, chef d’entreprise à la retraite est venu jouer aux échecs et il s’est fait battre à plate couture par un type qui ne payait pas de mine, venait d’un endroit improbable et avait peut-être été professeur. Un autre à qui vous auriez fait l’aumône vous bat brillamment au Scrabble. Ils ont vécu des choses dont on ne parle pas, ont tous un téléphone portable et sont parfois des Geeks, très doués en informatique. On a tendance à mettre tous les SDF dans le même sac, c’est une erreur ! »

Les locaux ouvrent à 14 heures. Sur le pont supérieur un salarié est chargé de faire le pré-accueil, car si les personnes qui se présentent sont reçues de manière inconditionnelle, l’association ne peut se permettre de les recevoir s’ils sont manifestement alcoolisés, ni de dépasser le nombre de personnes autorisé pour des raisons de confort et de sécurité.
Les passagers laissent leurs affaires dans un local fermé avec un ticket pour les récupérer à la sortie. Les nouveaux venus se présentent et, s’ils en ont besoin, les travailleurs sociaux les aident à régler leurs problèmes administratifs. Par principe, les passagers sont accueillis inconditionnellement : qu’ils soient ou non en règle importe peu aux responsables de la Péniche, comme le raconte Michaël : «Je me souviens d’une des premières fois où j’étais venu, un dimanche après-midi. Les gens ne me connaissaient pas. Je me suis présenté à un petit groupe, l’un d’eux me tend la main en me disant : « mon nom est personne ». Il existe d’autres lieux d’accueil de jour dans lequel on ne reçoit que les personnes enregistrées, mais ici elles ont le droit d’être anonymes. Nous en avons l’autorisation, reformulée par le préfet de région en personne qui est venu nous rencontrer et qui m’a dit : « Il n’y a aucune ambiguïté ; nous savons bien que vous recevez des personnes en situation irrégulière, mais ça fait partie de vos critères d’inconditionnalité, vous en avez le droit. »
Par ailleurs, en plus des bénévoles qui sont souvent des retraités et qui prennent en charge l’accueil et l’orientation au jour le jour, l’association a la chance d’accueillir de jeunes stagiaires qui restent souvent plusieurs mois et dont l’apport en énergie et en créativité est très précieux.
Travailler avec Passerelles & Compétences
Péniche Accueil a fait appel plusieurs fois à Passerelles & Compétences, pour des missions variées.
La première mission a concerné le site internet de l’association qui ne pouvait évoluer dans la mesure où la personne qui l’avait conçu n’était plus joignable. Les débuts de la mission ont été difficiles avec un bénévole peu réactif et susceptible, qui a abandonné en cours de route… Les responsables de Passerelles & Compétences ont alors mis Michaël Agopian en relation avec une bénévole remarquable, avec laquelle il est très facile de communiquer, en dépit de sa localisation parisienne et qui dépanne l’association à plusieurs reprises. Grâce son travail, l’association a pu confier la gestion technique du site à un prestataire lyonnais et la mise à jour à un bénévole compétent.
Lorsque Péniche Accueil doit trouver un nouveau directeur, c’est encore une bénévole spécialiste en ressources humaines présentée par Passerelles & Compétences qui accompagne l’association, aide ses responsables à se poser les bonnes questions, examine les candidatures et assiste aux entretiens.
Plus tard, Michaël Agopian décide de ne pas poursuivre son mandat de président. Aucun candidat ne se déclare au sein de l’association. Il est vrai qu’il n’est pas aisé de succéder à une personnalité comme celle de Michaël… La bénévole présentée par Passerelles & Compétences pour trouver une solution va mettre tout son cœur à mener à bien cette mission. Elle a dans ses bagages un beau parcours professionnel dans une fonction de Directeur des ressources humaines au sein d’une agence de conseil, dont elle a dû démissionner pour déménager à Lyon, où son mari a trouvé un poste. Quand elle arrive dans cette nouvelle ville, elle ressent le besoin de rencontrer « des personnes bienveillantes ». Elle garde de sa rencontre avec Michaël Agopian un souvenir très fort : « C’est quelqu’un de très rigoureux et en même temps très empathique, avec un côté visionnaire. Je voulais construire avec l’équipe une action qui dure. Pour ce recrutement nous avons voulu dédramatiser la démarche : nous avons défini un profil de poste avec les membres du bureau puis identifié une personne qui a accepté la fonction de président. J’ai eu un grand plaisir à travailler avec cette association, à me sentir utile à des gens si impliqués. »
La dernière mission en date, également dans le domaine des Ressources humaines, a aidé les responsables de la Péniche à choisir une convention collective parmi toutes celles qui pourraient les concerner.
Certes, l’engagement bénévole est parfois plus fragile que les expertises du marché… Mais in fine, en faisant confiance à Passerelles & Compétences, les dirigeants de Péniche Accueil ont toujours trouvé des volontaires pour les aider à avancer en réfléchissant sur leurs problèmes.
Et ainsi, bien accompagnée et bien administrée, la péniche, solidement amarrée, peut continuer d’accueillir comme elle le fait depuis près de vingt-cinq ans, celles et ceux qui en ont besoin…