Rapprocher les cultures

L’association Courant d’Art a pour objectif de favoriser le rapprochement entre les cultures à travers la création et la diffusion de projets artistiques et culturels destinés aux jeunes.  

Ce soir de juillet 2001, c’est la fête sur la scène montée dans le parc du château de Pourtalès à Strasbourg. Six jeunes musiciens, Les Yiddishe Mamas et Papas  chantent et dansent la joie et la vie. On y évoque des histoires d’amour souvent ratées, d’amitié, de fête, on parle de manger et de boire et d’histoires drôles. Les musiciens ne sont pas tous de culture juive, le public non plus, mais ils vibrent à l’évocation joyeuse de cet univers, très loin des images tragiques que font en général surgir ces chants. 

Ces instants de fête vécus ensemble créent une histoire commune.

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Le désir de dialogue

Isabelle Marx, la fondatrice de l’association Courant d’Art, est une battante enthousiaste et volontaire. Elle mène son association avec un dynamisme que souligne Gianni C., Passerelle à Strasbourg, qui accompagne Courant d’Art depuis plusieurs années : « Je ne doute pas que son projet dure longtemps malgré les difficultés rencontrées : elle est seule et c’est très dur, mais la qualité majeure d’Isabelle est sa volonté. Elle sait trouver les bons arguments pour avancer et faire parler de son association. »

Isabelle combat pour la paix avec ses moyens, en rapprochant les cultures, depuis qu’elle est sortie de l’adolescence, 

ce qu’elle explique en racontant simplement son histoire : « Mes parents sont des juifs alsaciens et lorrains… C’est important parce que cette culture, bien différente du domaine religieux, fait partie de mes racines. J’ai toujours voulu retrouver cette richesse littéraire, poétique, politique, ensevelie pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour faire vivre cette culture, j’ai commencé à chanter en yiddish dès l’âge de quinze ans dans des restaurants, des soirées privées, j’ai fait la manche. Dès la deuxième chanson tout le monde se mettait à pleurer parce que c’était relié à la Shoah et au ghetto.

A vingt ans, j’étais assez idéaliste et je suis partie en Israël … mais très vite je me suis heurtée à cette guerre incessante et ça m’a profondément bouleversée. Je suis revenue en France et j’ai commencé à travailler à la chambre de commerce de Strasbourg tout en continuant à chanter. J’ai toujours chanté. » 

A ce moment, Isabelle découvre que la langue yiddish peut être joyeuse en participant à une comédie musicale dans laquelle elle joue le premier rôle. Elle se rend compte que cette langue est restée vivante, surtout en Alsace où elle fait partie de la culture, et « embarque » cinq de ses amis pour fonder son groupe. Avec le succès, elle enchaîne les tournées et quitte le confort du statut de salariée pour devenir intermittente du spectacle.

Jusqu’au jour tragique de l’accident de Juillet 2001. Il est 22 heures lorsque la pluie interrompt Les Yiddishe Mamas et Papas. Les spectateurs se réfugient sous la tente de la buvette et les artistes regagnent leur loge, une structure métallique garnie de toile. Sous les assauts d’une violente rafale de vent, un platane centenaire s’abat sur une foule de plus de cent personnes et dévaste les deux abris bâchés, piégeant les spectateurs et les musiciens sous les branchages. Un plan d’urgence est immédiatement déclenché, mais le sauvetage se révèle compliqué : les intempéries ont provoqué la chute d’autres arbres du parc, et les chemins sont inondés. Dans la clairière, il est nécessaire de tronçonner le platane pour dégager plusieurs victimes. Le bilan est dramatique : treize morts, dont deux enfants, et plus d’une centaine de blessés.

Six ans plus tard, la ville sera condamnée par la justice, mais le groupe n’aura pas survécu :

 chacun a eu besoin de temps pour panser ses blessures et le cœur n’y était plus.

Courant d’Art

Isabelle a créé son association Courant d’Art en 1999, indépendamment de son groupe musical qui fonctionnait en parallèle.

L’époque était à l’effervescence culturelle, et la ville de Strasbourg, capitale européenne, favorise l’implantation de La Laiterie sur les ruines d’une friche industrielle, site de l’ancienne usine de lait de Strasbourg. Il s’agit d’un espace consacré aux cultures alternatives qui compte également une salle, le Théâtre des Lisières, dont le projet est de mélanger cultures et arts (peinture, photographie, musique, théâtre) du monde entier et dont l’ambition est de toucher un large public. C’est ainsi que plusieurs spectacles « Lisières » sont produits .

En 1999, Isabelle se rapproche des responsables pour mettre en place une « Lisière judéo-arabe ».

Le spectacle mis en scène par Isabelle, « Si tu veux être mon amie », se fonde sur un échange épistolaire entre une jeune Palestinienne et une jeune Israélienne.

 Le spectacle destiné aux adolescents a du succès, il tourne dans toute la France accompagné par une exposition à la chambre de commerce de Strasbourg.

L’association monte ensuite des ateliers dans les centres culturels et les écoles des quartiers sensibles. Dans ces établissements, les classes comptent parfois plus de vingt nationalités et il arrive que les élèves, qui parfois  présentent des difficultés scolaires importantes, manifestent de l’intolérance et parfois même de la violence. « Souvent, précise Isabelle, les enfants étaient les interprètes de leur famille dans laquelle personne ne parlait français et ils avaient des responsabilités très lourdes dès le plus jeune âge. Je me demandais comment travailler avec eux pour qu’ils arrivent à dominer la violence, à aimer l’école, à partager, à créer une histoire commune dans un lieu où ils puissent vivre ensemble. J’ai pensé que j’y arriverais en utilisant l’outil artistique qui nous permet de nous connecter à nos émotions, à nos sensations. Le fait de partager avec d’autres est déjà un grand pas vers le dialogue. »

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Les activités de Courant d’Art

L’association monte d’abord des ateliers de calligraphie pour familiariser les jeunes avec l’écriture arabe, hébraïque, latine. A travers cette expérience, les enfants goûtent une culture qu’ils ne connaissaient pas, dont ils se méfiaient, dont ils avaient peur… Et le dialogue se crée. L’expérience est très bien reçue par les responsables des unités scolaires, les enseignants et les enfants eux-mêmes.

En même temps, Isabelle continue à animer des ateliers de chants dans les « quartiers sensibles », où les enfants construisent une histoire commune en chantant les mêmes chansons, dans différentes langues.

Le deuxième volet de Courant d’Art, ce sont les spectacles pour enfants. L’association en monte plusieurs : « Famille par-ci, Famille par là », avec des contes du Vietnam, d’Afrique, puis « Petites histoires mijotées à grignoter en famille », qui associe le chant à la nourriture, et les enfants à leurs parents. Ces spectacles sont donnés dans les centres culturels, dans des salles de mairie, dans des écoles, des crèches, des médiathèques…

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Le troisième volet de l’association est la formation vocale, sujet sur lequel Isabelle travaille beaucoup avec des artistes venus de tous les horizons qui trouvent un langage commun. Elle a l’occasion d’apprendre la méthode Estill (du nom d’une chanteuse d’opéra, Jo Estill) qui cherche à comprendre les mécanismes de la voix, sans jugement esthétique et postule que tout un chacun peut apprendre à s’approprier sa voix pour chanter. « Cette méthode, souligne Isabelle, est intégrée à Courant d’Art parce qu’elle permet de travailler sur des valeurs importantes : l’humain, le non-jugement, le fait d’être créatif, le partage. Nous avons bien travaillé et … le résultat a été le premier spectacle de MUS-E. »

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MUS-E

MUS-E est un programme lancé en 1996 dans onze pays européens par Yehudi Menuhin. Martina Catella, une professionnelle de la voix persuade Isabelle d’inscrire son travail dans ce projet européen, pour donner une autre envergure à son association, bénéficier de l’expérience de ceux qui ont déjà mis le programme en œuvre et s’inscrire dans un réseau plus large. Avec l’accord de la Fondation Yehudi Menuhin, Courant d’Art devient le représentant en France du programme MUS-E.

L’association obtient des subventions pour former dix musiciens, puis s’élargit à toutes les disciplines artistiques : danse, peinture, musique, vidéo, cirque… Des mécènes s’intéressent au sujet et MUS-E se développe, malgré les aléas dus aux problèmes de financement.

Le premier spectacle, « Dogora » est une pièce musicale dans une langue inventée qui n’appartient à personne et à tout le monde en même temps. Le spectacle réunit 250 personnes sur scène, un orchestre, 80 choristes adultes et une centaine d’enfants : c’est un très grand succès.

D’autres réalisations suivent, et sont également plébiscitées : « La Flûte enchantée » de Mozart, « Charlie et la chocolaterie », « L’Opéra de la lune »…

Puis faute de subventions, les spectacles s’arrêtent.

Le programme continue à vivre dans les écoles où l’association propose dans les classes des ateliers réguliers à raison d’1h30 par semaine, toute l’année. Mais il est également en difficulté, freiné par l’inspection académique à Strasbourg.

Mais Isabelle ne baisse pas les bras, elle tient avant tout à conserver intacte son énergie constructive au profit des jeunes avec qui elle travaille.

Avec Passerelles & Compétences

C’est cette femme hors du commun, qui, alors qu’elle était présidente d’une communauté juive libérale à Strasbourg, a chanté des chants liturgiques juifs dans la grande mosquée de la ville et à la cathédrale, que les Passerelles de Strasbourg ont accompagnée dans plusieurs missions.

La rencontre a eu lieu au salon des associations. Trois missions sont lancées dans la foulée : une mission stratégique de développement avec une bénévole qui continue d’aider Courant d’Art, une deuxième mission d’organisation, prise en charge par une spécialiste de l’ingénierie de formation qui est parisienne et travaille à distance, et enfin une étude de marché et de faisabilité pour les activités de formation.

Gianni C., la passerelle en relation avec l’association, s’implique personnellement dans la recherche de fonds, organise un concert avec le Rotary et continue de suivre fidèlement les activités de l’association.

Isabelle apprécie le travail de ces bénévoles, des professionnels de haut niveau très motivés, qui ont envie de travailler autrement, de rencontrer des gens différents. Et qui ont envie d’aider un projet magnifique, mais fragile…

Isabelle Marx

Isabelle Marx

Fondatrice de

Courant d’Art