Promouvoir la tolérance

Enquête propose des outils ludiques de découverte de la laïcité et des faits religieux destinés aux enfants du primaire, conçus pour leur permettre de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent et favoriser la coexistence apaisée des différentes convictions.

En cette fin d’après-midi d’hiver froide et pluvieuse, je suis invitée à assister à un atelier mené par Marine, une animatrice de l’association Enquête. Les participants, des collégiens d’une classe de sixième du collège voisin, arrivent en ordre dispersé. Cinq garçons de onze ans, fatigués par leur journée, suivent les activités avec la meilleure volonté possible.

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Chacun sa religion

L’animatrice, un sourire en coin, dessine alors deux bonshommes au tableau. « L’un est athée, l’autre est musulman. A votre avis, y en a-t-il un qui va plus aider les autres ? Un qui va plus tuer ? Est-ce la religion qui détermine les actes des hommes ? » Un enfant réplique immédiatement: « En fait, Madame, il existe des vrais et des faux musulmans ! Il ne faut tuer personne! »
Enquête sème des graines, cherche à amener les enfants à percevoir différemment l’autre, à se poser eux-mêmes les questions, à interroger leurs certitudes, bref à les faire bouger petit à petit : c’est le cœur du processus éducatif …

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Retour sur un parcours

Marine Quenin est une jeune femme opiniâtre, dotée d’un sens de la conviction peu ordinaire. Elle qui n’était pas pédagogue de formation a travaillé pour mettre au point des outils pédagogiques ; elle s’est armée de courage pour aller frapper à toutes les portes, recueillir des fonds; elle s’est improvisée animatrice pour prendre en charge les ateliers avec des enfants rien moins que faciles, elle recrute, forme et continue de convaincre.

Marine a devant les yeux le modèle de son père, un entrepreneur dans l’âme qui a connu des échecs mais s’est toujours relevé. Quant à elle, après des études à Sciences-Po Paris, plusieurs années auprès de Xavier Emmanuelli, le fondateur du SAMU social, qui désire se développer dans de grandes villes à l’étranger, puis chez Antropia , l’incubateur social de l’ESSEC, elle prend conscience de ce qu’elle a envie de faire : «  Je me suis rendu compte que jusqu’alors j’avais été la cheville ouvrière du montage du projet de quelqu’un d’autre, j’avais envie de lancer mon propre projet. »

Tête de ralouf

A la même époque, Marine et sa famille sont en vacances dans le Sud. Sa fille aînée a alors quatre  ans et se prend de passion pour les visites d’églises, posant toutes sortes de questions : « Je commence à me dire qu’il y a peut-être une éducation à mener pour expliquer aux enfants les signes religieux qui les environnent au quotidien. Par la suite, lorsque ma fille a grandi, elle est revenue à plusieurs reprises de l’école avec des remarques parfois choquantes. Un jour, elle était avec des copines à la maison, se dispute avec l’une d’entre elles, et la traite de « Tête de ralouf ». Je lui demande ce que cela veut dire, et elle me dit : « c’est tête de cochon en arabe».  Il y avait quelque chose à faire! »

Marine est sensible à la violence qui s’exprime lorsque le rejet de l’autre domine et elle est persuadée que seule la connaissance des croyances et des rites permet de la désamorcer et de favoriser une laïcité apaisée. 

Création d’Enquête

Le projet mûrit lentement, Marine se sent prête à créer une association pour prendre en charge le sujet de l’enseignement du fait religieux et de la laïcité. Elle en parle à Marie-Anne Cantin rencontrée au SAMU social. Elles montent Enquête ensemble avec l’aide d’Antropia pour rédiger un Business Plan Social et déterminer leurs objectifs.

Les deux jeunes femmes ne sont ni l’une ni l’autre pédagogues de formation. Elles constatent qu’il n’y a que fort peu de méthodes pour aborder ces sujets :

 elles en inventent, créent un programme concret sous forme d’ateliers et développent des outils élaborés pour aborder autrement la laïcité et les faits religieux.

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Le travail de prospection des lieux où pourront se tenir les ateliers est  chronophage. Marine appelle les centres sociaux , elle  y passe des mois et  voit se fermer bien des portes, à commencer par celles de la plupart des municipalités contactées qui ont décliné la ­proposition d’ateliers périscolaires, alors que la réforme des rythmes scolaires en cours aurait dû favoriser une offre éducative  nouvelle.
Quant aux établissements scolaires, leur accès est encore plus difficile . « L’école laïque a hérité d’un long combat contre la religion catholique et son hégémonie, rappelle Laurent Klein, directeur d’école et membre du comité de soutien d’Enquête. Et bien des enseignants ont, aujourd’hui encore, le sentiment que s’ils parlent de religion, ils sont en contradiction avec les exigences de la laïcité. »

Chaque refus est une nouvelle douche froide.

Mais  Marine ne se laisse pas décourager et noue des contacts avec des institutions de recherche, notamment l’IESR (Institut européen en sciences des religions), un lieu d’interface entre la recherche et les enseignants de terrain. On y organise des colloques, des séminaires et la formation d’enseignants. C’est là, en 2012, qu’elle rencontre Éric Vinson qui rejoint Enquête  et en  prendra  la présidence jusqu’en 2016.

Éric est un passionné de la question religieuse. Il constate très jeune qu’il est très difficile en France de parler du fait religieux de manière apaisée, dans le contexte de la longue histoire de la laïcité « à la française ». Dès son entrée à Sciences Po, il fonde avec quelques amis une association pour la recherche et l’enseignement du fait religieux, tant il est persuadé que seul le monde associatif peut prendre en charge ce problème, laissé en friche par l’État, les Églises et les entreprises.

Avec Passerelles & Compétences, un travail fructueux

Passerelles & Compétences a mis Enquête en relation avec de nombreux bénévoles : « Thomas B., le premier bénévole que nous avons rencontré est un expert-comptable, se souvient Marine. *D*isponible et très présent, réactif et rassurant, il nous a aidé à clarifier nos approches et à choisir des solutions adaptées. Nous avons amélioré nos outils et nous avons progressé grâce à lui.
Le deuxième bénévole, Ludovic G., un graphiste talentueux, a travaillé à la représentation visuelle  de l’arbre de notre jeu. Il est très créatif, il a de bonnes idées et malgré nos délais très serrés, il a mené à bien sa mission. Nous utilisons toujours le visuel qu’il a dessiné.

Pour la troisième mission, nous avons rencontré Corinne M., une jeune femme très compétente pour nos relations presse. Enfin, nous avons eu une étude à mener et nous avons eu affaire à un bénévole, Thomas B., qui a monté sa société après avoir travaillé longtemps dans de grands instituts d’études. Il nous a appris à utiliser un outil d’enquête en ligne  et nous a fait un questionnaire pour le recrutement de nos animateurs. Il m’a également aidée à faire un questionnaire d’évaluation. Il est très professionnel, disponible et sait tenir ses délais : il nous a pris en charge comme si nous étions des clients payants…

Passerelle & Compétences, c’est formidable ! J’ai rencontré des gens sympathiques, de bonne volonté, de bon conseil et qui, à chaque fois, nous ont permis de progresser dans un domaine que nous ne connaissions pas.

Même si on ne peut pas remplacer les salariés par du bénévolat et qu’il va bien falloir que nous montions en puissance, c’est une ressource rare et précieuse. »

Lauréate du projet présidentiel  La France s’engage 

Si l’association Enquête a connu des difficultés et rencontré des incompréhensions, les choses ont lentement évolué, surtout depuis les attentats de Janvier 2015, qui ont probablement constitué un « effet d’aubaine » pas facile à assumer. Après cinq ans d’existence, l’association dont Marine Quenin est la fondatrice est  lauréate du projet présidentiel La France s’engage. En février 2015, elle recevait -enfin- du Ministère de l’éducation l’agrément lui permettant d’intervenir à la demande en milieu scolaire.

L’optimisme de la volonté

Aujourd’hui, les responsables d’Enquête sont confortés dans le choix de leur combat. Ils se rendent compte au fil du temps que le simple fait de parler des sujets, calmement et avec respect, fait baisser le niveau de tensions. Marine est impressionnée par le résultat de ses ateliers : « Cela ouvre les enfants aux autres, c’est fascinant. Bien sûr, ils ne comprennent pas tout, ils continueront à s’embrouiller à la fin de l’année. C’est de l’éducation, ça prend du temps. Mais on avance !  »

Éric exprime ses espoirs et ses questions : « Nous sommes face à un Himalaya de difficultés posées par le problème des religions en France. Les tensions sont très aiguës. Notre pays ne prend pas ces questions au sérieux, mais les problèmes ne vont pas se régler d’eux-mêmes. Quant à moi, j’ai voué ma vie à cette cause : réaliser un outil qui nous survive pour que le sujet continue à être traité. Après les attentats à Charlie-Hebdo, le sujet de l’enseignement du fait religieux et le thème de la laïcité ont été associés dans l’esprit du public et des responsables. Nous avons eu le label présidentiel, nous sommes reçus, nous avons obtenu davantage de moyens. Certes, les choses avancent lentement, mais nous continuons, même si c’est une goutte d’eau dans la mer. Comme Gramsci, je pense qu’il faut allier au pessimisme de la raison l’optimisme de la volonté ! »

Crédits photos: KP Photographe, Lucien_Leung

Marine Quenin

Marine Quenin

Fondatrice d’

Enquête