Plus de liberté pour les  SDF

Mains Libres  assure dans le quartier des Halles à Paris un service de bagagerie pour les SDF, co-gérée par les bénéficiaires eux-mêmes. Ce lieu, espace de repos dans une vie très difficile, permet aux SDF de souffler un peu. 

L’immeuble de standing, inscrit sur la liste complémentaire des monuments historiques, se trouve en plein centre de Paris dans le quartier du Châtelet. Les lieux sont sécurisés : on y entre grâce à une clé électronique ou en montrant patte blanche.

Au rez-de-chaussée, en face de la porte d’entrée, une petite table pour l’accueil. A côté, une porte s’ouvre sur le local qui est la raison d’être de l’association Mains Libres : 

une enfilade de cinquante-deux casiers d’un demi-mètre carrés chacun, destinés à garder tout ce qu’une personne peut humainement tirer ou trainer avec elle lorsqu’elle vit dans la rue.

Les SDF qui fréquentent Mains Libres y déposent ce qu’ils ont de plus précieux : leurs affaires, leurs papiers, leurs souvenirs…

A l’étage, dans une grande salle bien éclairée, ceux qui veulent s’installer trouvent de quoi prendre une boisson chaude et une collation autour d’une table, dans une ambiance chaleureuse.

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Les bénévoles, qui sont des ADF (avec domicile fixe, ainsi nommés en référence au terme SDF), s’y installent avec les SDF. Ces derniers peuvent ainsi échanger, reprendre confiance en eux et dans les autres et peu à peu recommencer à faire des projets. A cela s’ajoutent les liens sociaux avec les habitants du quartier, noués à l’occasion des multiples manifestations dans lesquelles Mains Libres est impliquée.

Cette association très innovante est soutenue par la Ville de Paris.

Élisabeth Bourguinat nous raconte son histoire.

Je ne savais pas quoi faire

En 1999, Élisabeth rejoint l’association Accomplir réunissant des habitants du quartier dont l’objectif est d’améliorer l’accueil des SDF. Mais ils ne parviennent pas  à faire avancer les choses.

Il faut faire quelque chose, mais quoi ?

Avec ses amis de l’association Accomplir, Élisabeth est persuadée qu’un projet destiné aux SDF ne doit pas avoir comme objectif premier de leur proposer un logement, d’abord parce que certains ne le souhaitent pas, mais surtout parce qu’il n’y a pas assez de logements disponibles Plutôt que d’envisager un projet totalement irréaliste, les loger tous, pourquoi ne pas envisager

 un dispositif qui les aiderait à mieux vivre dans la rue, où les conditions de vie sont objectivement très difficiles.

 L’association pense utile de leur donner la possibilité  de souffler un peu et de leur proposer des solutions pratiques, pensées pour leur rendre service.

On ne lance pas un produit sans savoir s’il va plaire

Les membres de l’association constatent que les SDF ont besoin de services qui leur permettent de survivre dans la rue. Ils souhaitent mieux dormir, sans devoir rester sur leurs gardes pour surveiller leurs bagages, être assez décents pour pouvoir se présenter à un employeur, ne pas être obligés l’été de jeter leurs affaires d’hiver et mettre leurs possessions les plus précieuses en sécurité.

Le problème est posé, mais la solution n’apparaît pas clairement.

C’est alors qu’intervient une bénévole de l’association Aux Captifs, la libération.
Françoise A. est issue du monde de l’entreprise où le lancement d’un produit ne se fait pas sans des phases d’études préalables : recueil des attentes et des besoins de la population concernée, élaboration d’un projet, amélioration de ce projet par les intéressés eux-mêmes. Le groupe de travail d’Accomplir décide d’appliquer cette démarche au sujet des besoins des SDF pour survivre dans la rue. Ce qui est fait, non sans quelques difficultés tant l’univers associatif est parfois prompt à rejeter les méthodes des entreprises.

La solution vient des SDF eux-mêmes 

« Ce qui nous manque, constatent-ils, c’est un endroit pour poser nos bagages que nous sommes obligés de traîner toute la journée : ça nous fatigue et tout le monde sait que nous sommes des SDF. Nous avons besoin d’un endroit où poser nos affaires. »

L’idée formulée, un groupe de travail réunissant des représentants des SDF construit le projet dans les moindres détails , ce qui ne manque pas de surprendre les maires de chaque arrondissement concernés et la députée : « Ils n’avaient jamais vu de projet qui parte de la demande des usagers, explique Élisabeth, et  soit conçu avec eux. Nous leur avons proposé un projet complètement novateur et, de plus, élaboré en moins d’un an ! Le conseil de quartier qui était opposé à notre idée a changé d’avis après avoir entendu les SDF»

L’association peut naître. Mains libres est créée en 2006.

Chercher un local

Il faut ensuite trouver un local et en plein centre de Paris, c’est loin d’être simple !
L’association occupe d’abord un local en bail précaire puis le miracle a lieu : le local destiné à la future  MDA (Maison des associations) de l’arrondissement, refait à neuf, est attribué à Mains libres grâce à l’appui des membres du Conseil de quartier qui votent pour ce projet de préférence à celui de la MDA.

  Mains libres a pu emménager dans ses locaux en 2007.

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Intégrer les SDF au quartier

Les responsables de l’association, en plus des services de la Bagagerie, font en sorte que les SDF participent à la vie du quartier pour s’y intégrer. 

Au cours des années, Mains Libres a participé à de nombreux événements festifs. Lors du vide-grenier du quartier, les SDF ont tenu un stand où ils vendaient des objets récupérés au profit de l’association; ils ont participé à la fête du quartier en tenant des stands de jeux destinés aux enfants; ils ont tenu le vestiaire du grand bal de la Bourse et ont assumé récemment toute la coordination d’un vide-grenier.

Ils ont pu prouver leur compétence dans divers domaines, de la manutention à l’organisation et à la coordination des événements,

 contribuant à changer le regard des habitants sur eux, tant il est vrai que ce que l’on connaît ne fait pas peur.

Au cours des années passées avec eux, Élisabeth se rend compte que si elle apporte beaucoup aux SDF, elle en reçoit aussi beaucoup : « Quand vous êtes dans la rue, vous ne pouvez mentir à personne. Parce qu’ils se connaissent, ils parlent beaucoup, ils s’observent et quand vous entrez en contact avec eux dans le cadre d’une association, ils vous observent aussi. Ils sont perspicaces et finissent par avoir une acuité psychologique remarquable. Je me suis retrouvée devant mes contradictions. Dans la vie habituelle personne ne m’a jamais parlé avec ce degré de clairvoyance et cette approche. »

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Passerelles & Compétences, une aide à l’autonomie

Élisabeth entend parler de Passerelles & Compétences par la fondation Phitrust   qui finance Mains Libres.

 Elle croit aux réseaux et pense que quelqu’un a toujours la solution quelque part.

Au début du projet, les responsables ne savent pas comment organiser la logistique : comment placer les casiers ? Faut-il avoir un chariot ? Des sous-casiers ? Des crochets pour suspendre les vêtements ?

Le bénévole présenté par Passerelles & Compétences est un logisticien qui les aide à réfléchir à la meilleure solution.

La deuxième bénévole, alors en année sabbatique, a eu des responsabilités dans le domaine commercial. Elle les aide à mettre au point leurs actions : « Nous avions décidé de tenir un stand de vente de produits du commerce équitable. Nous nous sommes vite rendu compte que la vente, c’est un métier. La bénévole envoyée par Passerelles & Compétences  nous a communiqué son savoir-faire : mettre les marchandises en valeur grâce à une nappe de couleur, apposer les étiquettes, fixer les prix, gérer les stocks, communiquer par des flyers. Elle nous a donné des conseils très utiles que nous utilisons toujours. »

Plus tard, afin d’assurer sa pérennité et offrir le cadre d’une insertion plus efficace aux SDF, l’association souhaite développer une petite activité économique en commercialisant des produits alimentaires ou culturels à proximité du marché du quartier . Cette structure d’insertion se développera progressivement pour devenir un stand « petit marchand ». N’ayant pas les compétences en interne, elle souhaite s’entourer des conseils d’un fiscaliste, qui l’aidera à définir le cadre optimal de cette action. Pour cette mission encore, les Passerelles trouvent un professionnel désireux de s’investir dans une mission de conseil.

Chacun de ces bénévoles ont aidé l’association à devenir autonome à un moment de sa croissance : 

« Passerelles & Compétences tisse un lien entre le monde de la solidarité et celui de l’entreprise. C’est génial ! »

Ne pas renoncer à l’utopie

Peu à peu, en donnant confiance aux SDF, en les impliquant dans des projets collectifs concrets, en leur apportant un soutien, Mains Libres permet à certains de faire des projets individuels et d’envisager de sortir de la rue.

En s’engageant auprès des SDF, Élisabeth fait sa part : « Si chacun contribuait un peu au vivre ensemble, le monde irait beaucoup mieux. J’ai pu déplacer des montagnes et j’ai pu éprouver  la justesse de la  formule : « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait».

Je ne renonce pas à un seul millimètre d’utopie parce que c’est comme ça que ça marche. »

 
Elisabeth Bourguinat

Elisabeth Bourguinat

Fondatrice de

Mains Libres