La mode pour tous

L’association Mode & Handicap.. c’est possible ! a été fondée par un jeune styliste, Chris Ambraisse Boston en 2006. Il a voulu créer une ligne de vêtements dont la conception astucieuse et la coupe très actuelle permettent aux personnes  handicapées de partager la mode avec les personnes valides.

La devanture de la petite boutique de Chris, peinte en rose “Haribo”, éclate de couleur, perchée au bout d’une passerelle qui traverse un canal dans le fin fond d’un quartier perdu du nord de Paris,  Dans la vitrine s’étalent des vêtements dont on ne comprend pas tout de suite la spécificité : ils sont destinés à des personnes handicapées.

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Un défilé de mode : le jeune homme porte un vêtement souple, fermé avec un zip transversal qui lui donne une touche rock. Plus loin, un autre garçon arbore un tee-shirt avec des pressions sur le côté. Le tee-shirt est très sexy sur les mannequins qui le portent dégrafé. Une jeune femme montre comment elle enfile un beau pantalon gris dont la ceinture est attachée par une boucle et qui s’ouvre sur le côté. Lorsqu’il est fermé, le pantalon est orné d’empiècements, qui dissimulent le système d’ouverture.

Nous sommes au salon Autonomic, salon de “l’Accessibilité positive”. Les mannequins qui défilent aujourd’hui au rythme de la musique ne sont pas des professionnels, même s’ils en affichent l’assurance. Certains sont debout et dansent, d’autres sont en fauteuil; tous ont été maquillés. Lorsqu’ils reviennent pour saluer, le créateur, rayonnant, est au milieu d’eux. Il a déjà organisé cinq de ces défilés, qu’il appelle “anti-préjugés”.

Il n’est pas facile, lorsqu’on est en fauteuil, de trouver des vêtements adaptés, conçus pour s’enfiler et s’ôter facilement. Et si, en plus d’être pratiques et confortables, ils pouvaient être chics !

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Chris Ambraisse Boston, un jeune styliste, a voulu apporter sa solution à ces situations qu’il estimait injustes.

Une enfance difficile

Les bénévoles de Passerelles & Compétences qui ont accompagné Chris sont unanimes : à trente ans à peine, il marque ceux qui le rencontrent. Sa force de conviction entraîne, comme en atteste la chaleur de ceux qui parlent de lui : les bénévoles, les responsables du CEMEA (Mouvement d’Education Populaire), qui prêtent des locaux pour un défilé, le CROUS de Paris qui le récompense lors de son concours national, et ceux de la Mairie de Paris qui offrent son défilé à Chris en 2011, dans le cadre du “Mois Extra-Ordinaire”, dont le but est de mettre en avant les parisiens en situation de handicap.

Le désir de Chris d’aider les autres prend peut-être ses racines dans une enfance terrible, qu’il raconte simplement et sans aigreur.

Il n’a jamais connu son père et vit avec son frère des années terribles, battus régulièrement par leur beau-père. Les résultats scolaires médiocres de Chris provoquent immanquablement des mauvais traitements, parfois très violents. A ce régime, les deux frères prennent vite la voie de la délinquance, tant et si bien qu’à l’âge de dix-sept ans ils sont rattrapés par la justice et intègrent un foyer ASE (Aide Sociale à l’Enfance), avec un suivi scolaire et une vie plus rangée. Ce cadre sécurisant leur permet de revivre.

Cette dure enfance n’est pas facile à solder, mais Chris considère comme un miracle, dont il s’étonne tous les jours, qu’ils s’en soient sortis, son frère et lui.

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La mode pour tous

Chris s’intéresse à la mode et aux textiles depuis longtemps: 

« J’ai toujours aimé les beaux vêtements. J’observais les gens dans la rue avec un œil critique, puis je m’en inspirais. » 

Il entre dans une école de mode, payée avec des petits boulots, apprend à dessiner des modèles, à faire les patrons, la toile et les moulages. A la fin de ses études, il est capable de réaliser des vêtements de A à Z. Il effectue quelques stages chez des créateurs mais il ressent avant tout le besoin d’être utile.

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Le déclic a lieu dans le métro. Chris s’en souvient : « L’idée est née d’une rencontre… Un jour, je dessinais des modèles dans le métro lorsqu’une fille en fauteuil s’arrête et me dit : « c‘est  joli ce que tu dessines… mais il faudrait penser à nous». J’ai mûri l’idée d’associer le handicap à la mode. »

Pendant un an, il rencontre des professionnels et des personnes en situation de handicap, pour comprendre les problèmes qui se posent à eux et concevoir des vêtements adaptés, faciles à enfiler, prenant en compte le fait que les personnes, selon leur handicap, s’habillent soit couchées, soit assises. 

Il intègre une dimension fonctionnelle dans la conception des vêtements, avec des jupes portefeuilles aimantées ou des zips.

Il existe fort peu de marques qui proposent ce type de vêtements et la particularité des collections de Chris, c’est d’offrir des habits qui conviennent aussi bien aux valides qu’aux handicapés. C’est pourquoi, il préfère parler de vêtements fonctionnels et proposer une mode pour tous.

Aujourd’hui, Chris travaille dans ses propres locaux, loués par la Mairie de Paris, grâce à l’ancienne maire-adjointe chargée du handicap.

On entre dans la boutique de Chris par le rez-de-chaussée, encombré de tables, de machines et de portants, sur lesquels la collection est installée. Sur les étagères sont exposés les trophées de Chris, dont un Janus  (Label d’excellence délivré par l’Institut français du design)!
Au niveau inférieur, largement éclairé par une fenêtre qui donne sur le canal, se côtoient du cachemire, de la laine, du coton, de la soie, du nylon, de la mousseline et du cuir, entremêlés de boutons, de zips et de rubans. C’est une multitude de couleurs et de matières, rangées sur des tables et des étagères, dans une logique connue uniquement du maître des lieux.

Un jeune coupeur y travaille en silence. C’est Samir, un réfugié politique afghan, que Chris est content d’avoir pu embaucher en contrat aidé. Samir a immédiatement trouvé sa place : son sérieux et sa compétence sont indiscutables. Il a commencé la couture à l’âge de douze ans. 

Lui aussi a dû se battre et il a connu une vie difficile. Aujourd’hui, il est heureux, il a un avenir et c’est un collaborateur fiable, qui compte beaucoup.

 Il prend les rênes, lorsque Chris est à l’étranger et il se débrouille de mieux en mieux en français.

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L’essor de l’association

Au début, les choses ne sont jamais faciles : il faut monter le projet et convaincre ses interlocuteurs. Au bout de quelques mois sans résultats, Chris commence à perdre espoir, lorsque son amie Delphine, avocate, lui parle du Fonds social européen qui aide les associations innovantes à trouver des financements. Delphine monte un dossier avec lui et ils baptisent ensemble l’association Mode & handicap… c’est possible !

Enfin, Chris obtient une réponse positive : c’est l’euphorie ! Il faut dire qu’il s’est heurté à de nombreuses remarques pessimistes soulignant son manque d’argent, d’expérience et de relations. C’est sans compter avec sa force de conviction…
 « Et puis, se souvient Chris, en 2009, nous avons organisé notre premier défilé à la Mairie de Paris; je me demandais si les gens allaient aimer. C’était un énorme  stress et un défi. Les mannequins étaient des handicapés et des valides, trouvés par des associations (des trisomiques, des malentendants, des paralysés…). C’était un moment inoubliable. »

Les défis n’ont pas manqué sur sa route. Il s’est acharné et, malgré les encouragements et les conseils des organismes qui l’ont soutenu et le soutiennent encore, il se sent un peu seul pour assumer le quotidien et la complexité des situations.

Mais Chris est persuadé d’avoir une bonne étoile, qui veille sur lui et se matérialise sur sa route. 

C’est ainsi qu’il est aidé par de grands créateurs, comme la maison Vuitton. Elle fournit de la matière première, notamment pour les capes : près de 300 rouleaux de tissus, des bandes, des zips, etc. La maison Lanvin a également souhaité connaître un peu mieux le projet.

Et après Samir, il a pu salarier d’autres jeunes.

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Chris se professionnalise avec Passerelles & Compétences

Chris rencontre  Passerelles & Compétences dans un salon des solidarités et se rend compte rapidement qu’il peut se faire aider par des professionnels, un monde qu’il n’imaginait pas accessible.  Il a pu se faire accompagner par deux bénévoles.

Le premier, François L. est un chef d’entreprise, qui l’aide à identifier ses clients potentiels, à trouver des fournisseurs, des partenaires et des soutiens financiers. Il lui a “ouvert l’esprit” et a su lui expliquer les solutions à mettre en œuvre, pour régler son problème commercial.
Puis une autre bénévole est intervenue, pour améliorer le site internet; elle a donné des conseils à l’association, l’a aidée à constituer un cahier des charges et a finalement recommandé l’association Cœur de l’espoir pour créer le site.

A la question de savoir pourquoi ces bénévoles s’impliquent de cette manière, Chris répond : 

« Peut-être parce qu’ils ont un beau parcours, qu’ils veulent apporter leur connaissance et qu’ils se font plaisir. En plus, ils le font de façon très professionnelle. En tous cas, sans eux, je n’aurais pas avancé aussi vite ni aussi bien. »

L’association de Chris est encore fragile. Mais il a déjà surmonté tant d’obstacles qu’il garde confiance en l’avenir. Sa plus grande joie est de créer des collections qui participent à un changement de regard sur le handicap. Rien ne lui fait plus plaisir que d’apporter sa pierre à l’édifice.

Chris Ambraisse-Boston

Chris Ambraisse-Boston

Fondateur de

Mode et handicap, c’est possible