Courir pour elles , fondée en 2009 à Lyon se donne pour objectif de contribuer à diminuer le nombre des cancers féminins grâce à la prévention par l’activité physique. L’association mobilise autour d’ événements qui connaissent un succès croissant et mène toute l’année des opération de sensibilisation des femmes.
Aujourd’hui, dans ce grand parc de Lyon, a lieu une course qui rassemble des femmes. Une jeune danseuse vêtue d’un justaucorps noir et d’un tee-shirt rose entre sur la scène devant neuf mille participantes. Devant elle, la foule rose et joyeuse attend près de la ligne de départ en sautant et en agitant des ballons. Au signal, elles lèvent les bras de concert pour la photo. L’animateur annonce le lancement de l’hymne de l’association Courir pour elles, « Waka-Waka, This time for Africa ». La chanson de Shakira résonne, avec une énergie communicative et la foule des femmes se met à danser, lorsqu’une cavalière en cape rose fait irruption sur le terrain. Son cheval galope, la foule s’élance derrière le cheval pour une course de dix kilomètres. La vague rose déferle dans le parc de Lacroix-Laval à Lyon.

Courir pour elles, c’est beaucoup plus qu’une course
C’est d’abord une identité particulière : une démarche de prévention du cancer qui ne s’adresse qu’aux femmes.
C’est un grand moment de partage dans la convivialité, une immense manifestation pour la vie, une journée festive et familiale où toutes les générations ont rendez-vous.
Au fil des années, cette manifestation autour du sport et de la santé est devenue incontournable dans la région Rhône-Alpes. En 2015, neuf mille femmes réunies sont convaincues que c’est ensemble, en bougeant, que l’on peut inverser la tendance. Le mouvement, c’est la vie !
L’association Courir pour elles reverse la totalité de ses bénéfices au profit de la lutte contre les cancers féminins.
Comment expliquer un tel succès ? La force de l’association repose sur la générosité de ses bénévoles engagés et mobilisés tout au long de l’année ainsi que sur la vision, l’engagement et la puissance de conviction de l’équipe de l’association et de Sophie Moreau, sa fondatrice.
Les valeurs du sport
Sophie Moreau a occupé des postes de responsable dans des entreprises qui l’ont passionnée, avec des déplacements à l’étranger. A ces postes et avec deux jeunes enfants, elle mène la vie hyperactive des jeunes cadres mères de familles, qui vivent en permanence le désir de réussir et le regret de laisser ses enfants :
J’éprouvais toujours cette espèce de tiraillement, de culpabilité, lorsque je partais en voyage, c’était compliqué.
Lorsque sa société est rachetée , elle saisit l’occasion pour s’arrêter et réfléchir. Un bilan de compétences lui ouvre une nouvelle voie : elle quitte l’univers de l’entreprise privée pour se dédier à l’humain en menant une activité associative.
Sophie pratique la course à pied depuis de longues années et le sport est primordial dans sa vie. Sa vision du sport change peu à peu et elle se sensibilise à des valeurs humaines qui lui apportent beaucoup : « A vingt ans, je faisais des marathons, j’étais dans une vision très individualiste des choses et je courais pour gagner. Avec la maturité, je me suis laissée porter par les belles valeurs humaines du milieu sportif, j’ai acquis une force et une richesse intérieure dans ma pratique du sport. Il y a beaucoup d’humanité dans les marathons, de chaleur humaine et de partage. Je n’y allais plus pour gagner, mais pour vivre de magnifiques moments. »
C’est pourquoi, lorsqu’elle décide de changer de vie, elle pense tout naturellement à conjuguer la vie associative et le sport.
Création de Courir Pour Elles
Au début de sa réflexion, Sophie veut reproduire l’ambiance qu’elle a ressentie en courant le marathon. Persuadée des bienfaits du sport, elle veut mettre sur pied une course de femmes, un grand rassemblement sportif pour partager et, grâce à l’émotion qui règne dans ces manifestations, donner envie aux autres. Le message est encore flou, mais il se précise au cours du temps. La petite Julie, la meilleure amie de sa fille, a cinq ans lorsqu’elle perd sa maman d’un cancer. « Huit mois après, se souvient Sophie, une autre maman est partie d’un cancer. Des femmes de 35 ans… J’ai réalisé que ça aurait pu être moi. J’avais le même âge avec deux enfants.
On ne peut pas rester les bras ballants et ne rien faire contre le mal. »
C’est à cette époque que l’OMS diffuse un message sur l’importance de l’activité physique dans la prévention primaire et secondaire du cancer. Sophie décide d’orienter l’association qu’elle est en train de monter vers cette mission de prévention. Elle ne part pas seule et peut compter sur ses proches : son mari devient trésorier; sa belle-sœur, régisseuse de métier, gère la communication et l’organisation. Elle occupe le poste de vice-présidente et coordonne chacun des événements de main de maître. Et c’est son amie Christine qui s’attelle au chantier des inscriptions et à l’élaboration du site. Sophie recherche la légitimité et davantage de visibilité pour son projet et rencontre le président de la Ligue contre le cancer : « Je démarrais, j’avais réfléchi à ce qu’on allait faire avec les bénéfices, quelles étaient nos cibles, nos objectifs, nos ambitions et je lui ai expliqué comment on comptait y arriver. Il a été convaincu, a accepté d’être partenaire et de nous prêter le logo de la Ligue. Grâce à ce patronage, nous avons convaincu les Hospices civils de Lyon qui nous ont acheté des dossards. L’événement était désormais clairement identifié : ce n’était pas juste une course à pied, mais une course caritative contre le cancer. »
Difficultés
Aujourd’hui, la course fonctionne, la mécanique est rodée et chacun à sa place joue sa partie. Pourtant, le chemin n’a pas été facile et, même plusieurs années après, il arrive encore à Sophie de friser le « burn-out » tant ses responsabilités sont lourdes : « Au début, j’étais prête à faire beaucoup de sacrifices pour ce projet, je ne me voyais pas faire autrement. C’est le cœur qui parle, c’est un engouement incroyable, c’est une foule qui vous porte. Des sacrifices, j’en ai fait énormément car monter une association qui réussit à avoir une belle notoriété en cinq ans, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts…C’est un sacerdoce, un investissement de jour comme de nuit. Si je voulais arrêter, je ne le pourrais pas…car il y a des femmes en soins palliatifs qui portent des tee-shirts roses et qui vivent avec nous leurs derniers moments. »
Au-delà de la forte dimension émotionnelle liée à la maladie et à ses participantes, Sophie et son équipe doivent gérer au jour le jour un réseau de bénévoles engagés et soucieux de professionnalisme, mais pas faciles à manager dans la mesure où ce sont des bénévoles.

La croissance
L’idée de la course est très facile à décliner sur d’autres territoires, mais aussi dans la nature de l’événement. C’est ainsi que l’association a déjà lancé des projets concernant des sports différents : le yoga, le ski et bien d’autres activités encore sont envisageables. Cet essaimage et cette diversification supposent cependant une grande rigueur pour respecter les valeurs de l’association. Celle ci s’est fixée un autre objectif à court terme : sensibiliser des catégories de femmes encore trop peu présentes, comme les plus jeunes, les femmes de milieu rural et celles des quartiers. L’association envisage l’avenir sereinement car elle n’a pas de problèmes de financement. Avec le produit de la vente des dossards aux participantes, les dons et les aides de partenaires, Courir pour elles a même pu reverser plusieurs dizaines de milliers d’euros à quatre associations luttant contre le cancer, financer également un poste de professeur d’activité physique adaptée et rémunérer des coachs qui ont une approche particulière de la pathologie. Ils travaillent avec des femmes diagnostiquées qui ont besoin d’activité sportive quotidienne.
Travailler avec d’autres : Passerelles & Compétences
Les responsables de l’association se sentent l’obligation morale à l’égard de toutes les femmes qui les suivent de pérenniser leurs activités. C’est pourquoi, après avoir rencontré des responsables de Passerelles & Compétences dans une réunion du conseil général du Rhône, séduits par une démarche qu’ils trouvent brillante, ils saisissent l’occasion et souhaitent réaliser des missions. Ils rencontrent d’abord un avocat pour valider les statuts. La rencontre n’est pas concluante, en raison du manque de disponibilité du bénévole. Mais cela n’a pas suffit à décourager Sophie : elle rencontre une consultante qui réalise un audit de l’organisation de l’association et elles avancent ensemble, se comprenant parfaitement l’une et l’autre.
Le moteur de l’émotion
On comprend ce qui motive Sophie lorsqu’on lui demande de raconter son plus beau souvenir. Elle se souvient de la première édition de la course, qu’elle a vécue intensément : « J’ai rencontré Marie, qui avait mon âge ; elle est devenue mon amie alors qu’elle était en traitement dans un hôpital où j’intervenais avec un médecin pour présenter l’intérêt de Courir pour elles. Elle était au fond de la salle en pleine chimio et me demande : « j’ai deux garçons de cinq et quatre ans, me sera-t-il possible de participer à Courir pour elles » ? Question à laquelle je m’empresse de répondre : « bien sûr, vous amènerez une poussette, vous allez vous débrouiller, ça va être facile ». Pour la première édition, j’étais en sa compagnie. Elle était à la fin de sa chimio et portait un turban parce qu’elle n’avait plus de cheveux. J’étais enceinte de mon troisième enfant et ma grossesse était déjà bien avancée. J’étais là avec la vie en moi, Marie avec son fichu, pas vraiment certaine de guérir. Notre rencontre a été intense et totale. Et nous avons réussi cette édition, au-delà de tout ce que nous espérions. France 3 qui réalisait un reportage lui a demandé de témoigner. C’est un beau souvenir très émouvant et une très belle rencontre. »
Une expérience rare et unique qui aide à tenir face aux difficultés.
Crédits photos : Aurelie Allanic