Chercher le déclic pour les SDF

Parce que l’insertion des personnes ne se limite pas à trouver un toit et un repas, dans toutes ses actions de séjours de remobilisation, d’activités sportives, de bien-être et d’évènements, l’association  Un ballon pour l’insertion  propose de construire avec la personne en difficulté une relation de confiance basée sur la remise en mouvement du corps, l’expression de groupe et la création artistique…  

Le mois de septembre est très beau cette année en Normandie. Le petit groupe joyeux qui séjourne dans le centre sportif d’Houlgate pratique un grand nombre d’activités, en plein air comme à l’intérieur : ce matin-là, cours de gymnastique. Certains, maladroits, ont du mal à suivre le moniteur : ils ne sont visiblement pas très à l’aise avec leur corps. D’autres, plus habiles ou plus jeunes, réalisent sans difficulté les exercices demandés. Après le cours, ils se décontractent, allongés sur le tapis, pour profiter d’un temps pour soi : ils ont tous le sourire.
Un autre jour, ils feront du vélo, escaladeront un mur, s’essaieront au kayak de mer ou à l’équitation. Le groupe aura même l’occasion de participer à des jeux équestres mondiaux, introduits par une fanfare de sonneurs en habit rouge.
D’autres moments sont dédiés à l’échange : chacun prend la parole librement, les mots qui s’y disent sont parfois très forts et suscitent l’émotion. A la fin du séjour, fatigués, heureux d’être ensemble, ils prennent un verre en chantant, très bien d’ailleurs, la chanson « le mal aimé » de Claude François.

Ce séjour, destiné aux sans-abris, est organisé par Un Ballon pour l’Insertion, l’association fondée par Benoît Danneau.

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Les débuts d’un engagement

Benoît a été élevé en Seine-et-Marne, dans une famille d’origine belge, pleine d’humour et de bonne humeur. Autour de lui, cependant, la région connaît un naufrage économique. Enfant, il est marqué par la pauvreté ambiante, qui l’intrigue et lui pose question.

Lorsqu’il en a l’âge, le regard qu’il porte sur la violence du monde le conduit à refuser de faire son service militaire et à opter pour l’objection de conscience. 

Ce choix n’est pas facile et la société de l’époque ne le favorise pas : il faut présenter des arguments solides et convaincants, accepter de servir vingt mois contre dix à l’armée et trouver soi-même l’organisme dans lequel effectuer ce temps. Pour lui, ce sera le Secours Catholique. Au cours de cette période, il comprendra à quel point l’humain est important dans les relations sociales et dépassera les a priori qu’il pouvait avoir concernant les pauvres, l’alcool, l’assistanat, les sans-papiers et les sans-abris.

Ces vingt mois, pendant lesquels il est affecté au service d’un accueil de jour, sont très intenses. Il rencontre des personnes sans-abris, s’humanise à leur contact et se donne corps et âme à sa tâche. À son arrivée, il est chargé du fonctionnement du vestiaire : « L’accueil était installé sous les voûtes de l’avenue Daumesnil, sous la coulée verte. Il y avait un service de retouches, des glaces où les gens pouvaient se voir en pied, se raser ou s’habiller. D’une certaine manière, ils affrontaient le miroir car, dans la rue, on perd l’habitude de se regarder, on se cache sous plusieurs couches de vêtements, on se laisse aller. Cet endroit était un repère, où ils pouvaient prendre soin de leur corps et renouveler leur garde-robe. Ils repartaient tout neufs, avec un visage éclairci. »

Benoît apprend son métier. La rue l’intéresse. Il a envie de participer aux débats sur le sujet et, débordant d’activité, il met en place des solutions.

Cette expérience fondatrice décide définitivement de son orientation professionnelle.

Les Compagnons de la nuit

Benoît n’est toujours que bachelier lorsqu’il rencontre un Dominicain, le Père Pedro Meca, un personnage hors norme : « Orphelin de père, militant basque condamné par le régime franquiste, contrebandier, le père Pedro Meca a eu plusieurs vies, avant de se consacrer à ceux qui vivent à la rue, sans hésiter à bousculer les dogmes. En 1992, dans le cadre de son association Les Compagnons de la nuit , il ouvre à Paris son emblématique Moquette, un lieu de convivialité et d’échanges, où les “paumés” peuvent venir le soir jouer aux cartes, lire des journaux ou parler avec des intellectuels, qui présentent leur dernier livre. » (Site du Secours Catholique)

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Benoît se rend rapidement compte que, 

pour exercer un tel métier et faire face aux conditions de vie parfois insoutenables des gens dans la rue, il faut d’abord être formé, avoir une attitude professionnelle et comprendre les enjeux des situations de chacun. 

« Mais, dit-il, si on veut durer, il faut respecter les frontières avec sa vie personnelle, au risque sinon de se laisser complètement happer par une tâche qui peut vite s’avérer sans fin. » Pedro Meca, qui renouvelle l’équipe de son association, lui propose de la rejoindre et l’encourage à se former.

Une nouvelle approche pour les sans-abris

Pedro Meca est opposé au concept d’exclusion sociale, comme le signale le site de son association : « Ils sont peut être physiquement en dehors mais, même au plus profond de la détresse, quelqu’un reste quelqu’un. Il existe une représentation collective des « sous-quelqu’un » ou des « futurs quelqu’un » puisqu’on veut les réinsérer. On a toujours des préjugés lorsqu’on parle des SDF. » Ainsi, les Compagnons de la Nuit estiment que la désignation « SDF », qui identifie des personnes par leurs manques, comme s’ils constituaient un ensemble informe, est absurde et lui opposent l’expression ADF (Avec Domicile Fixe), tout aussi absurde à leurs yeux.

La priorité de Benoît est la qualité de la relation qu’il instaure avec les autres, le souci de les écouter, de les prendre en considération et de recueillir leur avis. Il s’aperçoit que le sport occupe une place importante dans les conversations. Les sans-abris se tiennent informés et, comme nombre d’autres Français, échangent avec passion sur le foot, le vélo ou le rugby.

Benoît décide alors d’utiliser le sport comme outil, pour améliorer la relation des sans-abri à leur propre image, leur redonner confiance en eux, provoquer, comme il le souligne, un déclic : 

« L’exclusion est une pente savonneuse rapide, tandis que l’insertion prend du temps et nécessite de multiples interventions de spécialistes. Et puis, on peut les réinsérer dans quoi aujourd’hui ? La porte de sortie, c’est quoi ? Je continue à penser que les gens n’ont pas leur place dehors, qu’ils doivent trouver un endroit. Des projets comme les pensions de famille permettent de disposer à la fois d’un espace privatif et d’un espace collectif, encadrés par des spécialistes. Mais de là à penser qu’ils pourraient trouver un logement, gérer un budget, payer leurs factures, pour la majeure partie d’entre eux et au bout d’un certain nombre d’années d’errance, ce n’est peut-être plus possible. Par honnêteté, je suis amené à leur proposer quelque chose qui leur corresponde et pas forcément le modèle qu’on essaie de leur plaquer ».

Le projet

Depuis le début de sa carrière, Benoît s’intéresse au sport, et en particulier au football, comme outil d’insertion sociale et professionnelle. Au fil des ans, nombre de personnes en difficulté ont vu leur situation évoluer, grâce à une pratique régulière du football. Ce sport leur permet de prendre de la distance par rapport à leurs conditions de vie, de se redynamiser, de se confronter au groupe et de se rendre compte qu’elles peuvent dépasser leurs limites et avoir des envies de changement.

La « Homeless World Cup » est un tournoi international créé en 2001, qui permet aux sans-abris de se regrouper, pour pratiquer le sport qu’ils aiment. En 2011, le tournoi a lieu au Brésil et Benoît met en place la participation de Français sans-abris.

C’est ensuite qu’il fonde Un Ballon pour l’Insertion. D’abord centrée sur le football, l’association étend ses activités et propose aujourd’hui des séjours de remobilisation, pour favoriser l’insertion sociale des personnes en grande situation de précarité.

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Concrètement, Benoît réfléchit à la mise en place d’un lieu pour les sans-abris qui leur permettra de se “reconstruire” pendant des périodes de une à deux semaines, en groupe de 8 à 25 personnes. Ils seront animés et encadrés par des professionnels du monde du sport, du social, de la culture et du bien-être, ainsi que par des stagiaires ou des bénévoles.

En 2014, Benoît cherche des fonds auprès de fondations et de partenaires publics et monte une expérimentation à Houlgate. Benoît souligne qu’il s’agit d’un travail social sans filet, en face à face pendant une semaine et dans la conduite de dynamiques de groupe avec le support d’activités.

L’aide de Passerelles & Compétences

Il s’appuie sur la compétence des bénévoles présentés par Passerelles & Compétences pour étudier la faisabilité de son projet. Il a connu P&C par un salarié du Secours Catholique et s’affirme comme un fan :

  « Je suis un fervent supporter, j’aime beaucoup l’idée de départ portée par un illuminé, qui repose sur une grande logique : les petits porteurs de projets ont des besoins dans de multiples champs où leurs compétences sont limitées. P&C fait rencontrer l’offre et la demande. Autrement, je n’aurais pas rencontré ces citoyens engagés. »

Il rencontre un avocat bénévole de P&C pour l’aider à faire le choix de la meilleure structure juridique pour son centre, puis une autre bénévole qui l’aide à structurer le budget et, enfin, une spécialiste de la vidéo pour monter les rushes tournés à Houlgate : « Cela va au-delà d’une belle rencontre, déclare Benoît. Le premier bénévole va entrer dans notre Conseil d’administration, il est d’une grande richesse humaine. Le second est un technicien visionnaire qui a l’art de poser les bonnes questions et de vous projeter dans l’opérationnel. La jeune femme qui a monté le film est vraiment formidable, elle y a passé 20 heures et a été sensible à notre projet. Enfin nous avons mis en place notre site internet avec un bénévole qui se trouve être notre voisin, ce qui est très commode pour tout le monde. C’est le bénévolat d’aujourd’hui : des gens qui bossent beaucoup et trouvent une heure ou deux pour répondre au besoin d’une association. »

Benoît souligne, au delà de l’aide qui a permis à son association de se développer, la profondeur des liens qu’il a noués avec les bénévoles. Des liens d’amitié qui subsistent après les interventions techniques.

Aujourd’hui , l’expérimentation a été menée et les résultats sont positifs : l’association vit. L’énergie de Benoît et ses convictions, qui ont déjà séduit ses partenaires, sont autant d’atouts pour le développement de « Un ballon pour l’insertion.»

 
Benoît Danneau

Benoît Danneau

Fondateur de

Un ballon pour l’insertion