Sortir du surendettement

 L’Atelier budgétaire est une association aquitaine de lutte contre l’exclusion financière. Son objet principal est la prévention du surendettement et l’inclusion sociale grâce à une bonne maîtrise du budget et des moyens financiers. Ses fondatrices apportent à l’association leur expérience en milieu bancaire dans la prise en charge de la clientèle en difficulté financière.       

La carte de crédit de la chaîne de magasins A promet des services exclusifs, des offres irrésistibles (15% de promotion pour l’achat d’un voyage en République Dominicaine), des solutions de financement adaptées à vos besoins. Acceptée dans le monde entier, cette carte permet de payer au comptant ou à crédit les achats dans le magasin. En caisse, si vous sélectionnez la touche 2, “crédit”, tous vos achats sont remboursés en douceur, par petites mensualités prélevées directement sur votre compte bancaire.

Le taux d’intérêt pratiqué par la banque émettrice de la carte est de plus de 20%.

Surendettés

Ce soir, au centre de Bordeaux, dans le bureau de l’association L’Atelier budgétaire, Jean T. explique à Caroline Prévost, la directrice de l’association, qu’il a opté pour cette solution. C’est lorsque Jean se rend compte qu’avec la carte il paie beaucoup trop cher ses produits de première nécessité qu’il se résout à frapper à la porte de l’Atelier budgétaire pour envisager le dépôt d’un dossier de surendettement.

Jean, à 64 ans, n’a pas encore droit à sa retraite, qu’il ne pourra toucher que l’année prochaine. En attendant, il survit grâce au RSA. Son fils, déjà adulte, vient de le rejoindre et vit avec lui. Le jeune homme travaille mais n’a pas les moyens de se loger : le père et le fils peuvent ainsi partager les frais.

Caroline examine le budget de Jean et se rend compte que ses dépenses concernent des produits de première nécessité essentiellement alimentaires. Il a aussi des impayés de loyer et un découvert modeste : « On voit bien, souligne Caroline, qu’il fait très attention à son budget. »

Caroline appelle la banque pour négocier un taux de crédit moins lourd, et explique à Jean les conséquences du dépôt d’un dossier de surendettement : la personne est fichée au FICP (Fichier des incidents de remboursement), ne peut plus prendre de crédit ni faire de découvert. Or les personnes surendettées sont souvent à découvert. Il va donc être nécessaire de trouver d’autres solutions.

Martine V., la cinquantaine, a des projets : rendre visite à son fils qui vit à l’étranger et aménager une chambre dans son appartement pour la louer un étudiant de manière à avoir un complément de revenu. En effet, Martine est propriétaire de son appartement mais, outre les remboursements de son emprunt, elle doit faire face à des charges dont elle n’avait pas pris la mesure. Martine travaille à plein temps dans une administration. Ses revenus sont modestes, son budget, géré au plus juste, est très serré. Elle vient à l’Atelier budgétaire dans une démarche d’anticipation, pour ne pas se trouver dans une situation où elle serait à découvert, ce qui n’entre pas dans ses principes. Caroline Prévost travaille avec elle depuis plusieurs semaines pour l’aider à y voir plus clair dans son budget, définir ce qu’elle peut dépenser au jour le jour, décider de l’échéance de ses charges : elle la rassure et lui permet d’envisager l’avenir un peu plus sereinement.

L’Atelier budgétaire reçoit le plus souvent des personnes en précarité, envoyées par ses partenaires dans les structures sociales.

Mais depuis la crise, les surendettés sont surtout des actifs (chômeurs ou en emploi) et dans la mesure où tout un chacun peut se trouver dans cette situation, le regard sur eux est plus indulgent.

Du bon usage du crédit

Caroline Prévost diplômée d’une école de commerce, travaille pendant vingt 20 ans dans le milieu bancaire lorsqu’elle entre dans une importante société de crédit à la consommation .

Les entreprises spécialistes du crédit, n’ont pas toujours une bonne image, à cause principalement de l’offre de crédit renouvelable, connu sous la dénomination en Anglais de crédit revolving : offres difficiles à comprendre, conditions d’octroi douteuses voire laxistes qui risquent d’enfermer l’emprunteur dans une spirale de dettes, taux d’intérêts très coûteux. Le crédit revolving est souvent vu comme l’un des principaux chemins vers le surendettement.

Caroline Prévost occupe plusieurs postes dans cette entreprise avant de s’intéresser à des activités plus proches du terrain et de prendre en charge le service « Accompagnement des personnes fragiles ». Cette expérience lui permet de découvrir la situation des personnes et leur isolement par rapport à leur situation et leur endettement : « Souvent, constate t-elle, ils ne savent pas vers qui se tourner. Les personnes en précarité de revenus vont vers les structures sociales, mais des salariés lambda ne se reconnaissent pas dans ces structures et hésitent à y aller. Ils adoptent souvent la politique de l’autruche, masquent leurs difficultés, même auprès de leur famille ou de leurs amis, et s’enfoncent dans le surendettement. J’ai été touchée par certaines de ces personnes, on ne peut pas rester indifférent, et on en arrive vite à une posture où on arrête de juger. Il nous est arrivé de nous faire la réflexion que si ces personnes avaient été mieux informées, mieux accompagnées à différents moments clé de leur vie, elles auraient pu éviter leur surendettement. »

Le service met en place des outils de « coaching budgétaire » destinés à des clients désireux d’améliorer leur situation et surtout d’éviter de reproduire les erreurs qui y mènent.

Si cette activité passionne Caroline, elle s’aperçoit qu’elle n’a pas les coudées aussi franches qu’elle le souhaite avec ses clients : même si elle les aide réellement, elle est en même temps inévitablement perçue comme le créancier à l’origine des problèmes. De plus, la relation est essentiellement téléphonique, sans rencontre physique, ce qui finit par la frustrer.

L’Atelier budgétaire

Caroline et une de ses collègues décident de quitter l’entreprise dans le cadre d’un plan de départs volontaires pour monter une association dans le domaine qui les intéresse : accompagner des personnes surendettées, leur donner l’information qui leur manque, leur enseigner les outils qui leur permettront de gérer leur budget, les aider à affronter les instances de recouvrement, à déposer un dossier, à se défendre.

D’emblée, Caroline et sa collègue choisissent de monter une association pour établir des rapports de confiance avec les structures sociales qui seront leurs partenaires et les mettront en contact avec leurs « clients », ou « bénéficiaires » comme elles apprendront à le dire.

En effet, les deux amies, qui viennent du secteur privé, ne connaissent pas l’univers associatif, les partenaires, les collectivités, les sources de financement. Il leur a fallu se former, ce qu’elles ont fait très sérieusement en suivant une formation continue à l’IAE de Bordeaux et un Master 2 en gestion des organismes à but non lucratif. Il faut trouver un nom pour l’association dont le sujet peut être rebutant : « Nous voulions que le nom de notre association soit évocateur et que les personnes concernées comprennent qu’on allait parler budget. Atelier budgétaire n’est pas une dénomination très « sexy » mais il ne faut pas tourner autour du pot. Nous avons travaillé pendant de nombreuses séances et nous avons choisi le mot atelier pour ce qu’il évoque de travail concret et surtout de travail en commun. Ce nom est clair et cash.

Le démarrage a pris six mois avant même la création de l’association pour valider la légitimité de la structure. Elles se lancent et mettent les bouchées doubles dans un contexte dont la difficulté leur apparaît rapidement sans pour autant les décourager : « C’est très long, se souvient Caroline, il faut rencontrer les personnes de multiples fois avant de décrocher un semblant de partenariat : des structures sociales, des CCAS (centres communaux d’action sociale), des missions locales… Le temps de prise de décision constitue une difficulté majeure. Le démarrage opérationnel des actions nécessite d’autres délais encore. Les responsables que nous rencontrons gèrent tous 50 sujets à la fois. A Bordeaux, les services sociaux sont de plus en plus débordés et c’est un vrai sujet en France où le flux des personnes à prendre en charge ne cesse d’augmenter alors que les ressources de ces structures n’augmentent pas. »

Mais Caroline tient bon, son amie crée un atelier au Pays Basque : elles se partagent ce qui est désormais une marque.

Après trois ans d’existence, l’association qui a reçu en 2013 le prix de l’innovation associative de Bordeaux est reconnue, soutenue par différents partenaires, reçoit des subventions pour prendre en charge les personnes adressées par les prescripteurs sociaux et fournit des services aux entreprises et partenaires, publics et privés, pour accompagner leurs salariés en difficulté.

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Passerelles & Compétences, une aide pour grandir

Caroline, qui connaît Passerelles & Compétences pour avoir rencontré des responsables lors d’un forum associatif, pense à demander une aide pour la former lorsqu’elle envisage de recruter des bénévoles pour  les personnes qu’elle reçoit.

Elle rencontre Odile, une juriste spécialiste du contentieux et du surendettement, qui travaille en collaboration avec une étudiante de La Clinique du droit une association bordelaise d’assistance juridique. « Ça a très bien marché, déclare Odile. Nous avons fait un excellent travail. Caroline avait soif de connaissances, elle n’a pas hésité à m’interroger, à me rappeler. Elle est très dynamique, pugnace, elle a un réseau et elle a monté une belle association. Quant à moi, cette mission m’a beaucoup apporté, j’ai pu rafraîchir mes connaissances, me dégourdir les neurones, et j’y ai pris beaucoup de plaisir, ayant affaire à des gens impliqués et réceptifs. C’est du travail, mais on a un retour concret et rapide ».

Caroline envisage l’avenir avec plus de confiance. L’association a déménagé, a pu embaucher une personne en plus de ses six bénévoles et a sollicité de nouveau Passerelles & Compétences pour trouver un bénévole qui l’accompagnera dans ses démarches de recherche de partenariat.

Caroline Prévot

Caroline Prévot

Atelier budgétaire